Drôle de coïncidence! La faillite de Lehman Brothers, quatrième banque d'affaires américaine, intervient le jour même où le célèbre artiste anglais Damien Hirst administre un sérieux coup de bambou au marché de l’art en vendant directement aux enchères, chez Sotheby's à Londres, plus de 220 œuvres inédites, réalisées en 2008. Alors que beaucoup d’observateurs (guère clairvoyants!) pronostiquaient un échec cuisant à l’initiative de Damien Hirst, l’estimation de 82 millions d’euros a été amplement dépassée pour atteindre 140 millions d’euros. A l’occasion, entre la chute dans la banque et l’envolée dans l’art, la haute finance s’est révélée diversement atteinte par l’actualité. Dans un monde chahuté par une grave crise financière, l’«art d’affaires» se porte manifestement mieux que les banques d’affaires, sans pour autant être vraiment plus serein…L’opération concoctée par Damien Hirst vise purement et simplement à court-circuiter les galeries, et à empocher ainsi la commission de 40 à 50% qu’elles prélèvent généralement sur les ventes en raison de leur travail souvent important de promotion, de diffusion et de vente des artistes et de leurs œuvres. Damien Hirst, vedette suprême et richissime du marché international de l’art, en a largement profité. Il veut aujourd’hui s’en affranchir. C’est une première, qui n’aura peut-être pas d’effets immédiats, mais qui risque de générer des ondes de choc. Une lourde menace pèse plus que jamais sur les galeries et le fonctionnement du marché de l’art.Au cours du dernier quart de siècle, les galeries ont prospéré en nombre et souvent en importance avec le marché de l’art contemporain, tandis que la mondialisation encourageait un essor fulgurant des foires qui sont devenues les vitrines internationales des galeries, un lieu obligé de visibilité, de vente, et de contacts planétaires avec les acteurs, les tendances et les produits (les œuvres !) du marché. Simultanément, les maisons d'enchères comme Sotheby’s et Christie’s opéraient une vaste réorientation de leur activité en direction de l’art contemporain. Ce sont désormais dans les maisons d'enchères que s’effectuent les plus grosses transactions, et que les records de prix sont sans cesse battus, récemment encore lorsque le magnat russe Roman Abramovitch a acquis coup sur coup à New York deux toiles pour un montant de 120 millions d’euros.Dans la concurrence qu’elles se livrent, Damien Hirst joue manifestement aujourd’hui les maisons d'enchères contre les galeries. Ce qui risque d’ébranler l’édifice du marché dans le sens d’un contournement des intermédiaires, d’un raccourcissement des circuits de vente, d’une réaffectation des bénéfices et des fonctions.Le caractère de Damien Hirst, largement décrit comme provocateur et fantasque, n’est qu’une maigre explication de l’opération qui a semé surprise et désarroi dans le milieu. L’explication pourrait bien être ailleurs. Damien Hirst comme Jeff Koons, qui se situent aux sommets du marché, et emploient chacun plus de cent collaborateurs, sont des mixtes d’artistes, de financiers et d’industriels. Quand l’œuvre principale de l’actuelle vente Hirst, Le Veau d'or, part à 13 millions d'euros, et que les deux séances d’enchères ont drainé 140 millions d'euros, des commissions de 50, 40, ou même 30%, représentent des sommes, des enjeux, et des logistiques matérielles et financières trop importantes pour les galeries qui, à ce niveau de business, peuvent paraître souvent trop artisanales, trop coûteuses, et pas assez performantes. Ce qu’il conviendrait peut-être d’appeler l’«art d’affaires» (comme il existe des banques d’affaires) a assurément besoin d’une alternative aux galeries. Damien Hirst l’a momentanément trouvée dans les maisons de ventes. Gageons qu’il ne s’arrêtera pas là.Le monde de l’art n’est évidemment pas uniforme. Une mince strate de très riches artistes et acheteurs vedettes domine un vaste ensemble d’artistes et d’amateurs modestes, les deux extrêmes étant séparés par une large variété de situations. Autant les derniers rencontrent d’énormes difficultés à produire, vendre et diffuser leurs œuvres ; autant les premiers sont confrontés aux questions inverses de la spéculation et de la surexposition.En fait, les stars du monde international de l’art comme Damien Hirst et Jeff Koons se distinguent par la (con)fusion qu’ils opèrent entre l’art et le marché en intervenant dans le champ de l’art avec les moyens de l’industrie et ceux de la haute finance.
Comuniqué Paris art
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