vendredi 13 avril 2007

SOCIOLOGY OF ART

Sociologie de l’art

L’ART N’EST PAS POUR LES COCHONS

Qui est concerné par la production artistique ? Il y a les artistes, le public mais aussi les commanditaires. Autour de l’objet – de l’œuvre –, différentes communautés humaines évoluent. Point sur lesdites communautés contemporaines.

Pour les « non initiés » l’ Art a ses adeptes. Ceux qui entrent dans une galerie, seulement parce que « C’est joli… » le font parfois avec un vague sentiment de culpabilité, n’hésitant pas à dire en s’excusant : « on n’y connaît rien… ». Ils s’imaginent souvent que « les artistes » font partie d’un autre monde et ignorent généralement que parmi « ceux qui s’y connaissent », on trouve bon nombre de personnes très diverses : des critiques coriaces, aux créateurs si « cool », en passant par les acheteurs « du dimanche » où par des experts que de mauvaises langues qualifient de funestes « marchands ». En d’autres termes, ils ignorent qu’il y a de la place pour tout le monde autour de l’art, parce que, que l’on soit artiste, public ou potentiel acheteur, ces communautés humaines ne sont pas figées. Les connaître, permet de mieux comprendre « l’Art » de notre époque.

Ceux qui créent : LES ARTISTES.- La sociologie de l’art propose, entre autres choses, de faire le point sur les artistes. Elle s’intéresse donc aux différentes formes d’art, à la création et la transformation des multiples écoles. Pour ce faire, elle admet – évidemment – que les créateurs sont multiples, mais elle se flatte tout de même d’avoir repéré les spécificités des créateurs contemporains.
La première particularité de l’artiste contemporain tient au fait que la production artistique ne se fait plus dans un monde de significations partagées par tous. En d’autres termes, l’art n’est plus aussi « visible » (qu’il s’agisse de peinture, de sculpture, de danse, etc.). L’artiste crée l’œuvre mais, plus encore, il crée le sens de l’œuvre. Et ce sens est essentiel. Des critiques attestent que l’œuvre (visuelle, auditive) ne suffit plus. L’artiste est aujourd’hui soucieux – très soucieux – de marquer ce sens, et surtout sa différence. D’aucuns diront que c’est précisément de souci d’un sens spécifique, d’une différence « à tout prix » qui les exaspère. Mais d’autres répondront que c’est précisément cette différence, voire ce « décollage » de la réalité, qui crée une distance entre l’objet (l’œuvre) et le sujet (le spectateur de l’œuvre) et donc, c’est ce qui permet au public lui-même de « décoller », de décoder le monde. Et ceux-là ajouteront que, du reste, l’artiste en exposant sa spécificité, en signifiant sa différence – de sens – , ne fait rien de moins que de s’inscrire parfaitement au sein de notre société individualiste. Vaste débat.
La deuxième particularité de l’artiste contemporain tient à son indépendance. Il se dit – et on peut croire qu’il l’est, effectivement – détaché du pouvoir politique, de la religion, etc. Reste que cette volonté manifeste de « s’opposer à… » (à la société, à l’autorité, etc.) n’échappe pas à la critique. Certains ont pu logiquement déplorer cette posture systématique « anti » qui peut passer pour radicale – et méprisante : « Au XIXème siècle, les artistes comme les intellectuels ont constitué une fraction subordonnée de (la classe dominante), position ambiguë, prenant la forme d’une revendication à légiférer en matière artistique et d’un mépris affiché à l’égard du bourgeois servile et industrieux »[1]. L’ennui, diront les détracteurs de cette attitude, c’est que « le bourgeois servile et industrieux » est aussi celui qui est susceptible de fait vivre l’artiste. Logique.
En vérité, le thème de « l’indépendance absolue de l’artiste » a fait couler beaucoup d’encre. D’abord, si l’artiste est effectivement indépendant, par rapport au champ économique et politique, force est d’admettre qu’il l’est bien moins par rapport à ses pairs. Aussi détaché soit-il des règles du marché, l’artiste n’échappe pas en effet à la situation de concurrence face aux autres candidats, à l’innovation et à la notoriété. Et puis, l’artiste aussi « indépendant » soit-il, doit bien s’inscrire au sein des autres instances de légitimation (marché de l’art, maisons d’édition, musées, etc.) parmi lesquelles il va devoir choisir et composer.
Quoiqu’il en soit, tout le monde s’accorde à penser que la production « indépendante » est courageuse. L’artiste qui œuvre pour rester authentique, est pris dans un nœud de contraintes, dans des cadres institutionnels formels/informels pas forcément bien identifiés –surtout au départ d’une carrière. Sa création doit donc compter avec cet imbroglio.

Ceux qui regardent/écoutent : LES PUBLICS.- La sociologie de l’art s’intéresse également aux contextes des commanditaires des œuvres, aux motivations et aux transformations des demandes sociales (les « modes »). Cette question est aussi – et surtout – celle des gestionnaires de musées, des théâtres, des galeries. Pierre BOURDIEU est connu pour avoir tâché d’y répondre, en 1966, en mettant en avant la spécificité des visiteurs des musées, issus des classes privilégiés, diplômés des études supérieures. Ses travaux ont sensiblement modifié les politiques artistiques, s’attachant à toucher des publics plus larges, à multiplier les campagnes pédagogiques en s’adaptant aux publics plus jeunes. Mais les résultats de ses politiques sont, à ce jour, mitigés. Certes, nombre d’expositions exceptionnelles connaissent des succès ponctuels et incontestables, auprès des publics qui se veulent variés. Pour autant on observe que les publics des expositions de peinture ne sont pas les publics des musées des techniques. Des différences persistent. Et on le regrette.

Ceux qui financent.- LES ACHETEURS.- Il est intéressant de savoir qu’une indéniable étroitesse des liens entre les commanditaires et les créateurs a autrefois existé (Une étude de la peinture hollandaise aux XVIe-XVIIe siècle l’illustre : l’acheteur discute des dimensions du tableau, des couleurs dominantes, des personnages, des objets symboliques). Aujourd’hui, les commandes sont rarement aussi directives, du moins, elles passent pour l’être beaucoup moins, car elles ne sont plus – du tout – dans les normes contemporaines.
Autre particularité contemporaine : l’étroitesse des relations du milieu artistique avec l’Etat. Certains s’empresseront de préciser qu’il s’agit d’un « certain milieu artistique », mais ils devront bien admettre, qu’il s’agisse de peintres, sculpteurs, musiciens, de troupes de danse, de théâtre, etc., nombre d’artistes s’appuient sur des subventions d’Etat. En témoignent les subventions régulièrement renouvelées aux grands musées nationaux, idem aux institutions de formation, les subventions ponctuelles d’assistance aux artistes, les crédits d’incitations à la création (aides à l’édition, aux expositions, etc.), les expériences d’animation (en centre scolaires, etc.). Ce qui appelle naturellement la critique : « Une telle administration (…) suscite inévitablement des contestations. Elle fonctionne, à des degrés divers, comme source de légitimation sans que ses décisions puissent faire l’unanimité dans la concurrence des personnes et des écoles, et sans que les soupçons de favoritisme, de partialité politique ou de clientélisme puissent être évités »[2]. Celles et ceux qui n’appartiennent pas à ce monde « officiel » de l’art, c'est-à-dire les « indépendants » installés à titre privé (Galerie, studio indépendants, etc.) témoignent parfois de leurs réticences. Ils sont plus que réservés vis-à-vis de cet art « institutionnel » voire « officiel » – quoique les bénéficiaires s’en défendent –, puis ils se flattent, encore et toujours, de leur réelle indépendance, eux.

Artistes, publics et acheteurs sont donc multiples. Mais tous appartiennent au « monde de l’Art » et tous ont donc intérêt à se connaître. Ce qu’ils doivent, en outre, faire connaître, c’est que ce monde-là est ouvert à tout le monde : l’image parfois « élitiste », quelque peu figée qu’on peut lui attribuer n’est pas justifiée d’un point de vue sociologique, en tous les cas. Car c’est plutôt la variété des communautés, les évolutions les plus diverses, les débats qui sont caractéristiques de ce milieu. Bienvenue donc à ceux « … qui n’y connaissent rien ». Ils ont incontestablement leur place au sein de cette diversité.




Isabelle Saut-Habchy est Chargée de Cours en Sociologie. Elle est Directrice de collection pour le groupe DE BOECK. Elle est l’auteur d’un recueil de pamphlets écrits sous forme de fables et illustrés par Dominique CORDONNIER (Les Amours de Marianne, 2005, IDP & Cie).

Sociology of art
ART IS NOT FOR the PIGS
Who is concerned with the artistic production? There are the artists, the public but also the sleeping partners. Around the object - work -, various human communities evolve/move. Not on the aforementioned contemporary communities. For “not initiated” Art has its followers. Those which enter a gallery, only because “It is pretty…” sometimes do it with a vague guilt feeling, not hesitating to say while excusing itself: “nothing there is known… ”. They often think that “the artists” belong to another world and are unaware of generally that among “those which know each other there”, one finds considerable very diverse people: criticisms coriaces, with the “cool” creators so, while passing through the purchasers “of Sunday” where by experts that scandalmongers qualify disastrous “merchants”. In other words, they are unaware of that there is place for everyone around art, because, that one is an artist, public or potential purchasing, these human communities are not fixed. To know, allows to better include/understand “the Art” of our time. Those which create: ARTISTS. - The sociology of art proposes, inter alia things, to give a progress report on the artists. It is thus interested in the various forms of art, the creation and the transformation of the multiple schools. With this intention, it admits - obviously - that the creators are multiple, but it is flattered all the same to have located specificities of the contemporary creators. The first characteristic of the contemporary artist is due to the fact that the artistic production is not done any more in one world of significances shared by all. In other words, art is not also any more “visible” (only it is of painting, sculpture, dance, etc). The artist creates work but, more still, it creates the direction of work. And this direction is essential. Criticisms attest that work (visual, auditive) is not enough any more. The artist is today concerned - very concerned - to mark this direction, and especially his difference. Of aucuns will say that it is precisely preoccupation with a specific direction, of a difference “at all costs” which them exaspère. But of others will answer that it is precisely this difference, even this “takeoff” of the reality, which creates a distance between the object (work) and the subject (the spectator of work) and thus, it is what allows the public itself “to take off”, to decode the world. And these will add that, of the remainder, the artist by exposing his specificity, by meaning his difference - direction -, does not do anything less than to be registered perfectly within our individualistic company. Vast debate. The second characteristic of the contemporary artist is due to his independence. It thinks - and one can believe that it is it, indeed - detached of the political power, the religion, etc Reste that this will expresses “to be opposed to…” (at the company, with the authority, etc) does not escape criticism. Some logically could deplore this systematic posture “anti” which can pass for radical - and scorning: “At the XIXème century, the artists like the intellectuals constituted a subordinate fraction of (the dominant class), ambiguous position, taking the form of a claim to be legislated out of artistic matter and of a contempt posted with regard to the servile and industrial middle-class man”. The trouble, will say the detractors of this attitude, it is that “the servile and industrial middle-class man” is also that which is likely in fact food the artist. Logic. In truth, the topic of “the absolute independence of the artist” made run much ink. Initially, if the artist is indeed independent, compared to the economic and political field, force is to admit that it is it much less compared to his pars. Also detached are rules of the market, the artist does not escape indeed the competition vis-a-vis the other candidates, to the innovation and notoriety. And then, the “independent” artist also is it, must be well registered within the other authorities of legitimation (gone of art, publishers, museums, etc) among which it will have to choose and compose. At all events, everyone agrees to think that the “independent” production is courageous. The artist who works to remain authentic, is taken in a node of constraints, formal institutional frameworks/abstract steps identified inevitably well - especially at the beginning of a career. Its creation must thus take into account this imbroglio. Those which look at/listen: THE PUBLIC ONES. - The sociology of art is also interested in the contexts of the sleeping partners of works, the motivations and the transformations of the social requests (“modes”). This question is also - and especially - that of the managers of museums, the theatres, the galleries. Pierre BOURDIEU is known to have tried to answer it, in 1966, by proposing the specificity of the visitors of the museums, resulting from the classes privileged, graduate of the higher studies. Its work appreciably modified the artistic policies, attempting to touch public the broader, to multiply the teaching campaigns while adapting to public young people. But the results of its policies, to date, are mitigated. Admittedly, a many exceptional exposures are specific and undeniable successes, near public which want to be varied. For as much one observes that public exposures of painting are not public museums of the techniques. Differences persist. And it is regretted. Those which finance. - PURCHASERS. - It is interesting to know that an undeniable narrowness of the bonds between the sleeping partners and the creators existed formerly (a study of Dutch painting at the XVIe-XVIIe century illustrates it: the purchaser discusses dimensions of the table, the dominant colors, the characters, the symbolic systems objects). Today, the orders are seldom also directing, at least, they pass to be it much less, because they are not any more - whole - in the contemporary standards. Another contemporary characteristic: narrowness of the relations of the artistic medium with the State. Some will hasten to specify that it is about a “certain artistic medium”, but they will have to admit well, that it act painters, sculptors, musicians, troops of dance, theatre, etc, a number of artists are based on subsidies of State. In the subsidies regularly renewed with the large national museums testify, idem at the institutions of formation, the specific subsidies of assistance to the artists, the appropriations of incentives to creation (assistances with the edition, with the exposures, etc), the experiments of animation (in center school, etc). What calls criticism naturally: “Such an administration (…) inevitably cause disputes. It functions, to differing degree, as source of legitimation without its decisions being able to achieve the unanimity in the competition of the people and the schools, and without the suspicions of favouritism, political partiality or clientelism being able to be avoided”. Those and those which do not belong to this “official” world of art, i.e. the “independent ones” installed on a purely private basis (Gallery, studio independent, etc) testify sometimes to their reserves. They more than are reserved with respect to this “institutional” art even “official” - though the recipients defend themselves some -, then they are flattered, still and always, of their real independence, them. Artists, public and purchasing are thus multiple. But all belong to the “world of Art” and all thus may find it beneficial to know each other. What they owe, moreover, to make known, it is that this world is opened with everyone: the “élitiste” image sometimes, somewhat fixed that one can allot to him is not justified from a sociological point of view, in all the cases. Because it is rather the variety of the communities, the most various evolutions, the debates which are characteristic of this medium. Welcome thus with those “… which know nothing there”. They incontestably have their place within this diversity.
isabelle.saut-habchy@univ-reims.fr


[1] Pierre ANSART, 1999, Dictionnaire de sociologie (sous la dir. de A. Akoun & P. Ansart ), « Sociologie de l’art », Le Robert/Seuil, p. 36.
[2] Ibid, p. 37.

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